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Une petite douleur à la hanche
Vendredi 8 avril 2011 matin
J’ai réussi à dormir quelques heures. À six heures du matin, quand Pascale rentre de l’hôpital, je sirote un café dans la cuisine. « Il est sorti du bloc à minuit. Ça a été horrible. Maintenant il dort. » Je n’en demande pas davantage. Je n’ai pas envie d’en savoir plus. Je file à l’hôpital dans la calme torpeur de ce matin printanier.
À l’instant d’entrer dans la chambre, j’ai un moment d’arrêt sur image. J’attends devant la porte, mais je n’attends rien. J’ai souvent de ces moments d’arrêt ces temps-ci.
J’entre. En effet il dort. Mon regard ne se détache pas de lui. C’est bien lui. Tout remonte, cette heure passée hier soir, son sourire, son regard un peu voilé tout de même. Je le regarde, ça ne sert à rien de rester là. Et je ne doute pas que ces temps qui ne servent à rien sont les seuls qui me servent, ceux qui construisent toujours plus d’amour.
Longue prière à genoux. Moment inoubliable. Tout le sens de ma vie se concentre dans cette chambre. Que de solitude, tout de même, dans la prière et dans la foi en ce Dieu distant et silencieux.
Je ne vais pas me presser de partir, je vais laisser s’écouler en moi ce flux de douleur. Je suis enfin seul face au réel. J e ne vais plus jamais me presser.
Samedi 9 avril 2011 : spectacle de l’école de danse de l’Opéra
Soirée au Palais Garnier pour le spectacle de l’école de danse de l’Opéra. Je vois le rôle qu’aurait dû tenir Silvère. Je vois son remplaçant.
Ces jeunes sont impressionnants, comme toujours. Le spectacle est éblouissant. Maintenant que je m’intéresse davantage à la danse, je trouve comme chaque fois que leur performance est à la limite du compréhensible.
Mais dire que j’ai le cœur à la danse serait exagéré.
La plus belle architecture qui soit, le sommet de l’art. Une certaine idée de la beauté m’appelle sans vraiment me toucher. Je sais bien que je suis engagé dans une autre histoire. Il devrait être sur scène, cette soirée aurait dû être la plus marquante de ma vie.
Je devrais être moins con aussi et vivre la vie que je vis plutôt que de rêver à ce qui aurait pu être et s’étale sous mes yeux.
J’ai toujours mon cerveau à l’hôpital. Quant à celui que je transporte, il flotte, il est léger, il s’évapore dans une vie sans densité ce soir.