Stratégie du conflit : gagner ou perdre ?
Bonjour les stratèges et les autres. Alors qu’est-ce que c’est que gagner ou perdre dans une stratégie de divergence d’intérêt, dans un conflit ? Qui a gagné, qui a perdu ?
Le 14 septembre 1812, Napoléon est entré dans Moscou. Et il est entré dans Moscou parce que le 7 septembre, une semaine avant, il avait « gagné », paraît-il, croyait-il, la bataille de Borodino. Enfin les Russes ont toujours dit que c’était eux qui avaient gagné cette bataille. Toujours est-il que Napoléon se croit vainqueur, entre en vainqueur. Le 23 octobre 1812, donc trente-neuf jours plus tard, Napoléon donne l’ordre de quitter Moscou à son armée. De quitter Moscou et de rentrer en France. Et on sait que dans ce retour à pied depuis Moscou engagé le 23 octobre, eh bien l’essentiel de l’armée, de la Grande Armée, de l’armée française va disparaître. Donc Napoléon croit qu’il a gagné la guerre le 14 septembre, et constate qu’il a perdu cette guerre le 23 octobre et dans les semaines qui suivent. Que s’est-il passé ?
Eh bien il s’est passé la seule chose à laquelle Napoléon ne s’attendait pas. Que fait Napoléon dans Moscou ? Il attend les émissaires d’Alexandre Ier, il attend que Alexandre Ier reconnaisse sa défaite et négocie en conséquence sa reddition et des concessions. Et que fait Alexandre Ier ? La seule chose à laquelle Napoléon ne s’attendait pas. Il ne fait rien. Il n’envoie pas d’émissaire, il ne reconnaît pas sa défaite. Alors Alexandre Ier était un mystique et il a dit plus tard qu’il avait reçu un message de Dieu lui disant de ne pas reconnaître la défaite de la sainte Russie. Mystique ou pas, message de Dieu ou pas, toujours est-il que la stratégie était bonne. Pourquoi ? Parce que dans une stratégie du conflit, celui qui a perdu, ce n’est pas celui qui a perdu sur le terrain. Celui qui a perdu, c’est le premier qui reconnaît sa défaite.
Donc si je me mets dans une situation où j’ai besoin de l’autre ; pour m’aider à gagner, j’ai besoin qu’il reconnaisse sa défaite, je risque d’en pâtir. C’est ce qui est arrivé avec Alexandre Ier. Les Américains ont gagné la guerre sur le terrain mais les Nord-vietnamiens leur ont dit : de toute façon, nous, nous ne reconnaîtrons jamais notre défaite. Donc ils ont perdu la guerre qu’ils avaient gagnée. En 1961, l’armée française avait gagné sur le terrain la guerre d’Algérie. En 1962, la France a reconnu sa défaite. Etc., etc. Celui qui perd dans une stratégie du conflit n’est pas celui qui perd sur le terrain, c’est le premier qui reconnaît avoir perdu.