La rationalité limitée
« Il n’y a pas de problème qui résiste à son absence de solution. »
Henri Queuille
Le modèle de la rationalité limitée est dû principalement aux travaux du prix Nobel d’économie (1978) Herbert Simon. Les modèles habituels de décision supposent que le décideur dispose d’une information complète ; qu’il agit rationnellement et qu’il connaît dès le départ les conséquences de ses décisions. Lorsque la réalité ne correspond pas à la théorie, on remet en question le postulat de la rationalité de l’acteur. Herbert Simon, quant à lui, observe que ce n’est pas ce postulat qui doit être contesté mais les deux autres à savoir que le décideur disposerait d’une information complète et connaîtrait a priori les conséquences de ses décisions. Dans la pratique, acquérir de l’information demande du temps, cela induit un coût en énergie et éventuellement en argent. Le décideur ne dispose pas d’une information complète pour décider et il le sait. Il ne serait pas forcément rationnel de sa part de rechercher cette information complète. Qui, à Paris, songerait à faire une étude exhaustive sur l’état du marché de la chaussure dans la capitale avant de décider de l’achat d’une paire de chaussure ?
Par ailleurs, une forte incertitude pèse sur les conséquences des décisions que nous prenons. Dans ces conditions, il n’est pas rationnel de rechercher la meilleure décision. Dans la plupart des cas, il est impossible de prouver, au moment où la décision est prise, qu’elle est la meilleure. Le décideur, ayant l’intuition de ces limites, ne cherche pas à prendre la meilleure décision mais une décision acceptable compte tenu des ses objectifs. L’horizon de la rationalité est limité par notre incapacité de percer les ténèbres de l’avenir.
Dans ce contexte d’horizon limité, l’acteur limite lui-même la portée de ses décisions par un processus itératif. Il se donne des objectifs à court terme et ne cherche pas à satisfaire tous ses objectifs en même temps.
Herbert Simon nous montre que le décideur paraîtra rationnel ou pas selon la façon dont nous envisageons et décrivons le contexte de la décision. Au restaurant, il peut paraître irrationnel de choisir un plat avant d’avoir lu toute la carte (stratégie de la rationalité limitée, la décision se porte sur la première solution acceptable qui apparaît). En effet, on n’est pas assuré, en procédant rapidement, de choisir le plat que l’on préfère sur la carte. Cependant, ce comportement peut évidemment être tout à fait rationnel si on a une bonne raison de vouloir engager rapidement la conversation avec la personne que l’on accompagne. Le décideur n’est donc pas irrationnel mais exerce sa rationalité dans un certain contexte.
Il est clair que l’organisation constitue un contexte très influent dans la décision de l’acteur. La décision de l’acteur dans l’organisation ne peut que difficilement ignorer la logique de l’organisation. L’organisation influence les individus et leurs décisions de plusieurs manières :
- par la division du travail qui oriente et limite l’attention des personnes sur certaines tâches,
- par les procédures qui définissent comment les choses doivent être faites,
- par l’autorité qui définit le champ sur lequel chacun peut décider,
- par la communication qui renforce ou conteste l’autorité,
- par l’identité qui définit des normes implicites sur les décisions possibles et impossibles,
- par la loyauté qui conduit l’individu à adopter certaines des valeurs de l’organisation.
Tous ces mécanismes constituent autant de clés de compréhension sur la façon dont le décideur, dans l’organisation, sait en général ce qu’il a intérêt à décider en dépit de son horizon d’information limité.