Management : attention à distinguer le réel du possible


Management : attention à distinguer le réel du… par Challenges

 

 

 

Management : attention à distinguer le réel du possible

 

Le problème centrale de la désobéissance, je crois, est une confusion assez courante entre le possible et le réel. Ce qui est possible et ce qui est impossible, ça se discute. Tandis que ce qui est réel et ce qui n’est pas réel, ça ne se discute pas. Le réel me contraint, il ne se discute pas. Et donc quand quelqu’un vous dit : « Ça c’est la réalité », c’est une façon de vous dire qu’il ne veut pas discuter avec vous. Et qu’il est propriétaire au fond de la seule stratégie possible. Et il y a beaucoup de gens qui raisonnent comme ça. Qui vous disent : « Non mais le marché, c’est ça. » Donc, ce n’est pas possible.

L’expérience de McNamara qui était le Secrétaire à la Défense de Kennedy puis de Johnson pendant la guerre du Viêtnam. Et cette équipe Kennedy que Kennedy avait composée, on les a appelés « les meilleurs et les plus intelligents ». Et McNamara se dit : « Eh bien effectivement, Kennedy avait composé son équipe en disant :  » Je veux les meilleurs de ma génération  » ». McNamara avait été nommé pdg de Ford à quarante-quatre ans, ce n’est quand même pas rien. « Nous étions les hommes qui avions le plus de moyens au monde pour s’informer. Nous étions totalement dévoués à notre pays. Et nous avons travaillé autant qu’il est possible. Et avec tout ça, se dit McNamara, qu’avons-nous fait ? » La guerre du Viêtnam, c’est-à-dire la plus grande connerie que les États-Unis aient faite au xxe siècle même si le titre a été remis en jeu au xxie. Et ce que McNamara ne voit pas dans son livre qu’il a écrit trente ans plus tard, qui s’appelle Avec le recul, la tragédie du Viêtnam et ses leçons, ce qu’il n’a toujours pas vu trente ans plus tard, c’est que cette idiotie de guerre du Viêtnam a été faite parce qu’ils ont obéi à une croyance qui est la théorie des dominos. Qui leur avait été soufflée d’ailleurs par l’équipe Eisenhower. Donc il y a eu une image puissante, la théorie des dominos, qui disait que si le Sud-Viêtnam tombe entre les mains des communistes alors tous les pays du sud-est asiatique tomberont entre les mains des communistes, qui a pris toutes leurs décisions à leur place. Et il y a une question qu’ils ne se sont jamais posée à l’époque et que McNamara trente ans plus tard ne s’est pas posée et qu’il ne se posera plus parce qu’il est mort depuis. C’est : est-ce que la théorie des dominos est vraie ? C’est-à-dire qu’à partir du moment où cette métaphore s’était imposée à leurs esprits et où ils y obéissaient, la question du réel est du vrai n’est pas posée. Or dans les années Soixante, il suffisait de se poser la question pour savoir que la théorie des dominos était fausse.

Si la théorie des dominos était vraie, l’Autriche aurait été communiste. Les troupes soviétiques ont quitté l’Autriche en cinquante-cinq. Cuba n’aurait pas été communiste. Donc on savait déjà qu’elle était fausse. Et puis la prédiction de l’époque : « Si le Sud-Viêtnam tombe entre les mains des communistes, tous les pays du sud-est asiatique tomberont et deviendront communistes », on sait a posteriori qu’elle était fausse puisqu’en soixante-quinze le Sud-Viêtnam est bien tombé entre les mains des communistes et l’ensemble des pays du sud-est asiatique ne sont pas pour autant devenus communistes.

Vous voyez que la question du vrai, elle est fondamentale, parce qu’ils ont cru que la théorie des dominos, c’était la réalité. Alors que c’était simplement une belle image qui s’était emparée de leurs esprits.

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