Mais où est passée la croissance ?
Bonjour les stratèges et les autres. Alors je voudrais vous parler aujourd’hui du paradoxe de la croissance. Du paradoxe de la croissance et de la valeur. Alors voilà d’où est partie cette histoire. Il y a un économiste de la première moitié du xxe siècle, très populaire, un Autrichien, qui s’appelait Joseph Schumpeter et qui a dit que les innovations arrivaient en grappes, il y avait des générations d’innovation, et que c’était ces innovations qui à terme stimulaient, renouvelaient la croissance. Et les deux exemples canoniques, c’est le chemin de fer au xixe siècle, donc c’est une grande innovation, et effectivement au bout d’un moment ça favorise les échanges et ça favorise la croissance et puis au xxe siècle l’électricité partagée qui permet effectivement d’autres innovations comme cette merveilleuse invention qu’est le grille-pain et l’automobile qui elle aussi va favoriser la croissance et qui va devenir l’industrie majeure de la deuxième moitié du xxe siècle.
Alors le paradoxe est le suivant : c’est que dans les années quatre-vingt quatre-vingt-dix arrive l’informatique, l’informatique pour les particuliers. Elle va être stimulée ou accrochée à une autre innovation qui est Internet et on s’attend à ce que l’ordinateur personnel plus Internet déclenche une forte croissance. Or, que se passe-t-il ? Eh bien depuis que l’on a des ordinateurs personnels puis qu’il y a Internet, dans les pays développés, la croissance a ralenti. Nous venons de vivre en Europe les quinze années de plus faible croissance depuis la guerre. Entre 2000 et 2015. Alors que c’est l’explosion d’Internet, c’est l’explosion de l’informatique. Et donc les économistes un peu dépités disent : finalement les ordinateurs sont partout sauf dans les statistiques de croissance. Et il y a beaucoup d’interrogation sur ce paradoxe. Donc moi j’ai ma petite idée sur le sujet. En fait, je pense que Internet a énormément favorisé la croissance de la consommation de valeur d’usage.
Mais Internet s’appuyant sur l’information, l’information étant duplicable sans coût et exportable, envoyable, adressable sans coût, eh bien en fait comme la valeur mesurée, la valeur ajoutée, la valeur mesurée dans les statistiques est liée aux coûts de production, Internet est aussi une formidable machine à détruire de la valeur ajoutée. Ce que mesurent les statistiques, ce n’est pas la valeur que nous consommons. Quand nous regardons un film gratuitement, ça a de la valeur d’usage mais ça ne génère pas de valeur ajoutée. Ce que mesurent les statistiques, ce sont en fait la valeur ajoutée, c’est-à-dire les coûts de production et Internet est une formidable machine à dissocier la valeur ajoutée de la valeur d’usage.
Alors ce n’est pas nouveau. Finalement, depuis deux siècles, la valeur, le coût, la valeur auquel est vendu un bien en général se rapproche de son coût de production. Et que le progrès technique est une formidable machine à dissocier la valeur d’usage de la valeur ajoutée c’est-à-dire finalement de nous mettre à disposition des choses qui en usage ont beaucoup de valeur pour nous mais pour de moins en moins cher. Mais alors Internet a donné un formidable essor à ce phénomène. Donc quand on dit que les ordinateurs sont partout sauf dans les statistiques de croissance, sauf dans les statistiques économiques, je pense qu’il y a un biais et en fait, depuis quinze ans, si on regarde la valeur d’usage que nous avons consommées, nous avons vécu une période d’extrême, d’extraordinaire croissance. Mais nous n’avons pas vu une grande croissance dans la valeur ajoutée, c’est-à-dire la valeur monétaire, ce que mesure le PIB. Au fond, qu’est-ce que nous dit cette histoire ? C’est que nous consommons de plus en plus de valeur pour de moins en moins cher. Ce qui est la logique du client. Qu’est-ce que c’est qu’un client ? C’est quelqu’un qui veut tout, pour rien.
Voilà les stratèges et les autres comment on peut réfléchir sur ce paradoxe à partir de la valeur et de Schumpeter. Il vous reste bien sûr à ne pas oublier de vous abonner à cette chaîne. À bientôt.
