Les lois de la nouvelle économie
Dans l’économie industrielle, des lois de l’économie ont été mises en évidence. Ces lois sont connues et font l’objet de travaux depuis longtemps. Mais ces lois sont consubstantielles à l’économie industrielle. Or on peut penser que, dans l’économie de l’information, ces lois se trouvent modifiées. Dans ce cas, ce sont les fondements mêmes de cette économie qui vacillent. Revue de détail.
La loi des débouchés
C’est l’offre qui crée la demande et non l’inverse. Idée étonnante, qui montre que la stratégie ne se résume pas au marketing, au service du client, mais se préoccupe d’innovation et de nouveauté.
Objection : dans l’économie de l’information, les possibilités de présenter l’offre sont beaucoup plus nombreuses que dans l’économie industrielle, car elles se font souvent sans coût, sans occupation de linéaires dans un magasin. Le tri de la demande dans l’offre ne s’opère donc pas de la même façon, car il est souvent fait par la demande finale. Connu sous le nom de « longue traîne », ce phénomène est l’une des clés de l’économie de l’information, que nous devrons introduire dans la bonne serrure.
La loi de la valeur travail
À long terme, les prix ne sont pas déterminés par l’offre et la demande, mais par les coûts de production. Bien mise en évidence par l’économiste Jean Fourastié, cette idée indique que les gains de productivité finissent presque toujours par être rendus aux clients. Le jeu stratégique consiste à faire en sorte que ce soit le plus tard possible.
Objection : cette loi peut encore s’appliquer dans l’économie de l’information, mais de façon souvent nouvelle et étrange, car le rapport entre les coûts fixes et les coûts variables est modifié par rapport à ceux de l’économie industrielle. Par ailleurs, cette loi s’appliquera de façon plus violente quand elle permettra aux clients de mieux comparer les offres, comme c’est le cas sur Internet.
La loi des rendements décroissants
Pour le client, l’utilité marginale des productions supplémentaires décroît jusqu’à devenir inférieure au coût marginal de production[1], ce qui limite la production. La loi des rendements décroissants détermine les quantités produites.
Objection : c’est sans doute la loi le plus clairement mise en défaut par l’économie de l’information. Quand les coûts variables deviennent nuls (ce qui est souvent le cas dans l’économie de l’information, puisque l’information se duplique et se transmet presque sans coût), la loi des rendements décroissants ne s’applique plus. En effet, cette loi suppose qu’à un moment l’utilité marginale devient inférieure au coût marginal, ce qui ne se peut pas quand ce dernier est nul. Dans ce cas, il n’y a pas de limite au marché et l’on passe d’une économie de la rareté à une économie de l’abondance. On définit souvent l’économie comme la science de la rareté, ce qui n’est sans doute pas le cas de l’économie de l’information. Il s’agit d’une mutation fondamentale dont nous avons du mal à évaluer les conséquences, qui sont d’ailleurs incalculables.
La loi des effets d’échelle
Sur de nombreux marchés, les entreprises essaient de mettre en œuvre des effets d’échelle. Dans le cas, assez fréquent, où elles y parviennent, l’offre se concentre et la stratégie se joue principalement sur la question de la taille de l’entreprise. On parle alors de la recherche de la taille critique – un sujet qui mériterait une critique de taille.
Objection : dans l’économie de l’information, les effets d’échelle ne se situent pas aux mêmes points de la chaîne de valeur. Si l’on simplifie un peu les choses, mais à peine, on dira que, dans l’économie industrielle, il y a de nombreux effets d’échelle dans la production (l’industrie) et peu dans la distribution. Dans l’économie de l’information, il y a peu d’effets d’échelle dans la production et beaucoup dans la distribution. Là se situe la différence. Par exemple, pour le lave-vaisselle, les effets d’échelle se font sur la production, et, pour le film, ils se font sur la distribution. L’information produit donc un report des effets d’échelle vers l’aval.
La loi de la recherche permanente de la différenciation
Pour échapper à la loi d’airain de la baisse tendancielle des taux de profit, les entreprises cherchent à faire une offre différente de celle de leurs concurrents, afin de ne pas se battre uniquement sur les prix.
Objection : on aurait pu croire que l’économie de l’information nous préparait un monde uniformisé, sans différenciation. En fait, il se produit plutôt l’inverse, parce que, dans la distribution, les effets d’échelle ne se produisent pas par l’uniformisation. Contrairement à un libraire, Amazon ne baisse pas ses coûts de production en réduisant le nombre de livres offerts, comme le fait un libraire. Dès lors, l’économie de l’information devient, davantage que l’économie industrielle, une économie de niches et de différences.
Ces points sont évoqués pour montrer que l’économie de l’information n’apporte pas seulement un changement par rapport à l’économie industrielle, mais bel et bien une mutation. Ce sont les fondations elles-mêmes qui sont attaquées.
[1]. L’utilité marginale est l’utilité d’une unité supplémentaire et le coût marginal le coût d’une unité supplémentaire.