Le temps est le temps
« Michele m’a précédé de peu pour quitter ce monde étrange. Mais cela importe peu pour nous autres physiciens convaincus que le temps n’existe pas, qu’il n’est qu’une illusion, même si elle est tenace. »
Albert Einstein
L’idée de maîtrise a été développée dans deux voies : maîtrise de l’autre et maîtrise de l’avenir. L’idée de maîtriser l’autre ne correspond pas à une vision réaliste de la personne et maîtriser l’avenir ne correspond pas à une vision réaliste du temps. Si l’avenir est maîtrisé, il est connu, et s’il est connu ou plutôt connaissable comme le pensait Einstein, le temps n’existe pas. Il n’est qu’une tenace illusion.
En fait, l’idée que le temps est une illusion est une illusion sur le temps. Le temps existe en ce qu’il supporte ma condition d’être vivant comme le mur supporte la peinture. Il est mon allié puisque lui seul me permet d’atteindre mes buts, il est mon ennemi puisque lui seul me sépare de ce que j’aime, il est mon bien puisque le bonheur n’existe qu’au présent, il est ma souffrance balancée du désir à la nostalgie. En tout cas, il est.
La vie n’a peut-être pas de sens en elle-même, mais elle a de la valeur pour autant qu’on l’aime. Aimer la vie hors du champ de la maîtrise que l’on sait désormais inaccessible, c’est aimer une vie toujours et indéfiniment assujettie aux angoisses de l’avenir. C’est aimer jusqu’aux surprises dont on sait que l’avenir est gros et c’est aimer même la sourde inquiétude dont ce savoir perle notre présent. Ce n’est pas aimer le présent malgré l’angoisse de l’avenir dont il est porteur, c’est aimer le fait que cette angoisse aiguise la conscience du temps. L’angoisse en nous projetant dans l’avenir et le passé donne à la vie son épaisseur malgré l’infinie finesse du présent.
Parce que le temps est le temps, l’histoire ne saurait finir.