Le temps de l’enfant
Vendredi dernier, à 7 h 45, je suis entré dans la chambre de mon dernier fils, âgé de cinq ans. Et bien sûr tous les parents qui sont dans cette salle comprennent que je m’apprêtais à vivre un des moments les plus heureux que le présent peut nous donner. D’abord de le regarder endormi, de le réveiller en douceur. « Réveille-toi. » De le voir ouvrir grand les yeux, de le prendre dans mes bras, de le sentir qui se colle contre ma poitrine et contre mon épaule. De descendre délicatement les escaliers pour ne pas le faire tomber car je ne voudrais pas qu’il finisse aussi amoché que ses grands frères. De le déposer devant son petit-déjeuner dans la cuisine et de lui servir son petit-déjeuner. Tout ceci, c’est du bonheur à l’état pur. Sauf que je suis un père responsable et que j’ai ma petite idée derrière la tête. Ma petite idée, c’est que cette séquence de temps a un objectif. On manage par objectifs, comme vous le savez. Et l’objectif, c’est de le déposer à 8 h 30 devant l’école maternelle, habillé de pied en cap, avec son anorak, même s’il fait moins froid à Paris qu’au Québec, et l’estomac correctement lesté d’un solide petit-déjeuner qui lui permettra de passer la matinée sans pleurer. Nous sommes d’accord. Oui j’ai vécu un merveilleux moment mais je n’ai pas perdu de vue mon objectif.
Voilà, maintenant il n’est plus 7 h 45, il est 7 h 50 ou 7 h 55. Le jeune enfant est devant son petit-déjeuner dans la cuisine et son père, très naïvement, vaque à ses occupations. Se raser, se laver, se brosser les dents, en pensant que tout va bien se passer, naturellement. Dix minutes ont passé, je passe dans la cuisine et je regarde Noé devant son petit-déjeuner. Qu’est-ce qui s’est passé ? Alors là j’en appelle à toutes les mères de famille. Qu’est-ce qui s’est passé ? Rien. Nous sommes d’accord, il rêvasse. Je lui dis : « Dépêche-toi. » Et puis je continue à vaquer à mes occupations. Cinq autres minutes ont passé. Qu’est-ce qui s’est passé ? Rien. Alors là le ton monte un peu, je luis dis : « Dépêche-toi, tu vas être en retard. » Et il ne se passe toujours pas grand-chose. Le ton va encore monter. « Bon sang de bon soir, c’est le jour où je te dis qu’il faut se dépêcher, ta mère n’est pas là, patati, patata, que toi tu rêvasses devant ton petit-déjeuner. Dépêche-toi, tu vas être en retard. » Je vous épargne la suite de la scène.
Maintenant, changement de décor, nous allons reprendre la scène dans la tête du jeune Noé. Mais pour reprendre la scène dans la tête du jeune enfant, il faut se poser la question : « C’est quoi le temps quand on a cinq ans. » Figurez-vous que pour vous, pour moi, il y a une évidence, c’est que si Noé ne mange pas son petit-déjeuner, le temps continue à passer. Oui, c’est clair. Autrement dit, il existe un temps extérieur à nous qui s’écoule de façon uniforme, quoi que nous fassions. Nous sommes bien d’accord. Nous sommes ici en train de respirer, d’essayer de passer un charmant moment ensemble, mais quand nous sortirons, le temps aura passé dehors. Donc, le temps est extérieur à nous et s’écoule quoi que nous fassions. Eh bien cette idée-là sur le temps n’est pas du tout une évidence et elle n’est acquise qu’à l’âge de dix ans. Elle est en cours d’acquisition entre six et dix ans et elle n’est pas du tout acquise entre trois et six ans.
Alors c’est quoi le temps entre trois et six ans ? Eh bien c’est une ressource qui s’use si on fait des choses. Autrement dit, nous, nous savons que nous agissions ou que nous n’agissions pas, le temps va passer. Pour un enfant de trois à six ans, c’est le fait d’agir qui fait passer le temps. Mais alors là, c’est tout autre chose.
Maintenant revenons dans la tête de l’enfant qui entend : « Dépêche-toi, tu vas être en retard. » Il se dit : « Si je me dépêche, je vais faire de choses. Je vais même faire plus de choses. Mais si je fais plus de choses, je vais user plus de temps. Et si j’use plus de temps, je vais être plus en retard. » C’est ce qu’on appelle en communication une double contrainte, c’est-à-dire un message qui contient sa propre contradiction. Je lui dis « dépêche-toi », sous-entendu utilise du temps, et « tu vas être en retard ». Du temps, tu n’en as pas. Logiquement, cela a la même structure que si je lui disais : « Mets ton anorak mais il n’y a pas d’anorak. » Et l’individu confronté à la double contrainte s’arrête parce qu’il ne comprend pas. Go to 00.
Évidemment, au moment où je lui dis cela, il ne comprend pas. Il va s’arrêter. La situation va s’envenimer si bien que si vous allez devant une école maternelle à 8 h 35, vous remarquerez que les enfants qui ont eu cinq minutes de plus que les autres sont en larmes. C’est que la relation sur le temps s’est mal nouée. Je vois qu’il y a des connaisseurs dans la salle à qui ce que je viens d’évoquer rappelle des souvenirs plus ou moins douloureux.
Donc ne dites jamais à un enfant de moins de six ans : « Dépêche-toi tu vas être en retard ». Dites-lui : « Fais ceci, fais cela ». Mais faire référence à un temps qui s’écoulerait extérieurement à lui n’a aucun sens pour lui.
Vendredi dernier, à 7 h 45, je suis entré dans la chambre de mon dernier fils âgé de cinq ans. Et bien sûr tous les parents qui sont dans cette salle comprennent que je m’apprêtais à vivre un des moments les plus heureux que le présent peut nous donner. D’abord de le regarder endormi, de le réveiller en douceur. « Réveille-toi. » De le voir ouvrir grand les yeux, de le prendre dans mes bras, de le sentir qui se colle contre ma poitrine et contre mon épaule. De descendre délicatement les escaliers pour ne pas le faire tomber car je ne voudrais pas qu’il finisse aussi amoché que ses grands frères. De le déposer devant son petit-déjeuner dans la cuisine et de lui servir son petit-déjeuner. Tout ceci, c’est du bonheur à l’état pur. Sauf que je suis un père responsable et que j’ai ma petite idée derrière la tête. Ma petite idée, c’est que cette séquence de temps a un objectif. On manage par objectifs, comme vous le savez. Et l’objectif, c’est de le déposer à 8 h 30 devant l’école maternelle, habillé de pied en cap, avec son anorak, même s’il fait moins froid à Paris qu’au Québec, et l’estomac correctement lesté d’un solide petit-déjeuner qui lui permettra de passer la matinée sans pleurer. Nous sommes d’accord. Oui j’ai vécu un merveilleux moment mais je n’ai pas perdu de vue mon objectif.
Voilà, maintenant il n’est plus 7 h 45, il est 7 h 50 ou 7 h 55. Le jeune enafnt est devant son petit-déjeuner dans la cuisine et son père, très naïvement, vaque à ses occupations. Se raser, se laver, se brosser les dents, en pensant que tout va bien se passer, naturellement. Dix minutes ont passé, je passe dans la cuisine et je le regarde devant son petit-déjeuner. Qu’est-ce qui s’est passé ? Alors là j’en appelle à toutes les mères de famille. Qu’est-ce qui s’est passé ? Rien. Nous sommes d’accord, ile rêvasse. Je lui dis : « Noé dépêche-toi. » Et puis je continue à vaquer à mes occupations. Cinq autres minutes ont passé. Qu’est-ce qui s’est passé ? Rien. Alors là le ton monte un peu, je luis dis : « Dépêche-toi, tu vas être en retard. » Et il ne se passe toujours pas grand-chose. Le ton va encore monter. « Bon sang de bon soir, c’est le jour où je te dis qu’il faut se dépêcher, ta mère n’est pas là, patati, patata, que toi tu rêvasses devant ton petit-déjeuner. Dépêche-toi, tu vas être en retard. » Je vous épargne la suite de la scène.
Maintenant, changement de décor, nous allons reprendre la scène dans la tête de l’enfant. Mais pour reprendre la scène dans la tête de l’enfant, il faut se poser la question : « C’est quoi le temps quand on a cinq ans. » Figurez-vous que pour vous, pour moi, il y a une évidence, c’est que si Noé ne mange pas son petit-déjeuner, le temps continue à passer. Oui, c’est clair. Autrement dit, il existe un temps extérieur à nous qui s’écoule de façon uniforme, quoi que nous fassions. Nous sommes bien d’accord. Nous sommes ici en train de respirer, d’essayer de passer un charmant moment ensemble, mais quand nous sortirons, le temps aura passé dehors. Donc, le temps est extérieur à nous et s’écoule quoi que nous fassions. Eh bien cette idée-là sur le temps n’est pas du tout une évidence et elle n’est acquise qu’à l’âge de dix ans. Elle est en cours d’acquisition entre six et dix ans et elle n’est pas du tout acquise entre trois et six ans.
Alors c’est quoi le temps entre trois et six ans ? Eh bien c’est une ressource qui s’use si on fait des choses. Autrement dit, nous, nous savons que nous agissions ou que nous n’agissions pas, le temps va passer. Pour un enfant de trois à six ans, c’est le fait d’agir qui fait passer le temps. Mais alors là, c’est tout autre chose.
Maintenant revenons dans la tête du jeune Noé qui entend : « Dépêche-toi, tu vas être en retard. » Il se dit : « Si je me dépêche, je vais faire de choses. Je vais même faire plus de choses. Mais si je fais plus de choses, je vais user plus de temps. Et si j’use plus de temps, je vais être plus en retard. » C’est ce qu’on appelle en communication une double contrainte, c’est-à-dire un message qui contient sa propre contradiction. Je lui dis « dépêche-toi », sous-entendu utilise du temps, et « tu vas être en retard ». Du temps, tu n’en as pas. Logiquement, cela a la même structure que si je lui disais : « Mets ton anorak mais il n’y a pas d’anorak. » Et l’individu confronté à la double contrainte s’arrête parce qu’il ne comprend pas. Go to 00.
Évidemment, au moment où je lui dis cela, il ne comprend pas. Il va s’arrêter. La situation va s’envenimer si bien que si vous allez devant une école maternelle à 8 h 35, vous remarquerez que les enfants qui ont eu cinq minutes de plus que les autres sont en larmes. C’est que la relation sur le temps s’est mal nouée. Je vois qu’il y a des connaisseurs dans la salle à qui ce que je viens d’évoquer rappelle des souvenirs plus ou moins douloureux.
Donc ne dites jamais à un enfant de moins de six ans : « Dépêche-toi tu vas être en retard ». Dites-lui : « Fais ceci, fais cela ». Mais faire référence à un temps qui s’écoulerait extérieurement à lui n’a aucun sens pour lui.