Le roi des cons
Bonjour les stratèges et les autres. Un jour, j’étais au bar du TGV quand un monsieur m’aborde et me dit : « Vous êtes Bruno Jarrosson ? ». Ce que je n’avais aucunement l’intention de nier d’ailleurs. Et il me dit : « Je vous ai entendu en conférence parler de la décision et j’ai un truc à vous dire. – Ah bon, pourquoi ? » Il me dit : « Voilà monsieur, je suis le roi des cons. » Et il insiste : « Vous avez devant vous, le roi des cons. » Alors pourquoi cela ? Je dis : « Mais qu’est-ce que vous voulez me dire ? » Il me dit : « Voilà, il faut que je vous raconte. Moi, je voulais réussir. Pendant quinze ans, j’étais dans ma boîte, je voulais me faire bien voir, etc. Monter dans la hiérarchie. Pour ma famille, je voulais absolument réussir. Et au bout de quinze ans, un jour, mon patron m’appelle, (ça se passe à Lyon) et il me dit : « Voilà, j’ai acheté une entreprise à Nantes et je vous propose d’en prendre la direction. » Et là, je me dis, ça y est, j’ai atteint mon but, j’ai réussi. Pour ma famille et tout. Et je rentre chez moi et je dis à ma femme : « Dans un mois, on va vivre à Nantes. J’ai un job à Nantes. » Et là ma femme me répond : « Ben écoute ça tombe très bien que tu ailles à Nantes parce que je voulais t’annoncer qu’il y a un monsieur qui va venir vivre dans cette maison à ta place. J’ai un amant et je et quitte. » »
Bon étape 1. Donc là il se dit : « J’ai peut-être loupé quelque chose. » Donc il se retrouve à Nantes devant son réchaud et sa boîte de haricots le soir, qu’il fait réchauffer. « Et là, me dit-il, je me dis : bon j’ai raté mon mariage, il ne faut pas que je rate l’éducation de mon fils. Donc ce week-end, je vais voir mon fils. » Donc le vendredi soir il part en voiture pour Lyon, il arrive le samedi matin pour voir son fils qui a dix-sept ans. Et il arrive un samedi matin et il lui dit : « Ben voilà, j’ai roulé toute la nuit pour passer le week-end avec toi. » Et son fils lui dit : « Ben écoute, ça tombe mal parce que j’ai un week-end avec des copains. Donc… c’est gentil, salut papa. » Puis il lui dit : « De toute façon, tu ne t’es jamais occupé de moi, donc qu’est-ce que ça change ? »
Et il retourne donc à Nantes. Là il médite et il se dit – c’est ce qu’il vient de dire : « Eh bien voilà, je suis le roi des cons. » Alors je lui dis : « Mais pourquoi vous en concluez cela ? » Il me dit : « Eh bien voyez-vous, c’est votre conférence qui m’a fait penser à ça, parce que j’avais ma stratégie, mais pour les décisions que je prenais, il y a juste un truc auquel je n’avais pas pensé, c’était de hiérarchiser les enjeux. Je croyais que je travaillais pour ma famille et donc ça, c’était ma stratégie. Mais en fait mes décisions m’éloignaient de ma famille. Et ça, c’était un enjeu que je ne percevais pas. » Donc il me dit, il ne me l’a pas dit comme ça d’ailleurs, mais enfin c’est ce que j’en ai conclu : « La connerie en stratégie, c’est de ne pas mettre les enjeux de la décision au-dessus des raisonnements et des analyses stratégiques monodimensionnels.
Voilà pour l’histoire du roi des cons qui traînait au bar d’un TGV entre Paris et Nantes, il me semble.