Conserver sa liberté de manoeuvre
On va en venir à la décision avec un personnage dont vous avez peut-être entendu parler parce qu’il n’est pas totalement inconnu puisqu’il s’appelle Charles de Gaulle. Qui a le 18 juin 1940 lancé l’appel dit du 18 juin. Et la question qu’on oublie de se poser, c’est : pourquoi c’est de Gaulle qui a lancé l’appel du 18 juin à Londres en 1940 ? Pourquoi cette question ? Parce que pour Churchill, qui va lui ouvrir la radio et le soutenir, c’est une catastrophe.
Churchill veut que la France reste dans la guerre. Le 17, Pétain qui a pris le pouvoir la veille au soir, qui a été nommé président du Conseil, a demandé l’armistice. Et l’idée de Churchill, c’est de dire : il faut que je récupère les ministres français qui sont opposés à l’armistice pour former un gouvernement français en exil. Mais il veut des ministres de poids, il veut Daladier, il veut Reynaud, il veut Mandel, il ne veut pas le sous-secrétaire d’État à la Guerre nommé depuis douze jours. C’est ridicule. Quatorze jours. Aucun sens. D’accord. Alors, pourquoi ?
Évidemment, de Gaulle, ce n’est pas le premier choix de Churchill, c’est le vingt-cinquième choix. Mais pourquoi c’est de Gaulle ?
La raison, c’est que de Gaulle est à Londres. Et les autres n’y sont pas. Qu’est-ce qu’ils ont fait, les autres ? Eh bien ils se sont embarqués sur un bateau, le Massilia, qui a été à Oran. Ou à Casablanca, je ne me souviens plus. Où ils espéraient lancer un appel pour former un gouvernement en exil. Entretemps Pétain a téléphoné à Noguès en disant : « Dès qu’ils arrivent, tu le coffres. » Et donc Reynaud, Mandel, ils ont tous passé la guerre en prison et Mandel a été assassiné par la milice en 1944. Bon.
Et alors, pourquoi de Gaulle n’a pas pris ce bateau ? Dans ses Mémoires, il dit – ce qu’il faut savoir c’est que de Gaulle est à Londres le 16 juin, le 16 juin au soir il rentre Bordeaux en avion pour découvrir en atterrissant que Pétain a pris le pouvoir et le 17 juin il reprend l’avion avec l’ambassadeur de Grande-Bretagne pour Londres. Pourquoi il fait ça ?
Alors il dit : « Ben simplement j’ai décidé d’aller à Londres. Pour continuer la guerre. » Dans ses Mémoires. Ce qui est intéressant, c’est ce que dit Churchill. Parce que de Gaulle ne dit pas toute la vérité. Ce que dit Churchill dans ses Mémoires c’est que de Gaulle avait très peur le 17 juin matin d’être arrêté par Pétain. Et donc, le 17 juin matin, il passe à son bureau et il prend des rendez-vous pour l’après-midi. Puis il dit à sa secrétaire : « Je vais à l’aéroport pour dire au-revoir à l’ambassadeur anglais. » Ils se disent au-revoir, officiellement, sur la piste, l’ambassadeur monte dans son avion, l’avion commence à rouler. Quand l’avion a commencé à rouler, de Gaulle saute dedans. Autrement dit, il s’évade. Et il est à Londres parce que lui, il s’est évadé. Parce qu’il a compris. Quoi ? Alors là, il fait une désobéissance par rapport – et ce ne sera pas la dernière – par rapport à ce qu’est la représentation du politique. La représentation du politique c’est : « Je vais agir. » Mais ils n’ont pas compris que Pétain était un militaire. Première règle de stratégie apprise à l’école de Guerre : garder sa liberté de manœuvre. Donc de Gaulle a très bien compris que sur un bateau, c’est l’endroit où il est le plus facile d’arrêter quelqu’un. Donc s’il voulait agir, il fallait qu’il ait sa liberté de manœuvre. S’il voulait avoir sa liberté de manœuvre, il fallait qu’il sorte de l’emprise de Pétain. Donc qu’il parte à Londres. Vous voyez.
Désobéissance fondamentale par rapport à… Et ce 17 juin matin, non le 16 juin au soir, il voit Mandel. Et il lui dit : « Venez avec moi, je prends l’avion demain. » Mandel lui dit : « Ah non, on va aller en Afrique du Nord. » Il lui dit : « Venez, je vous en supplie. » Et Mandel aurait été le Churchill français s’il l’avait fait. Alors qu’il a passé quatre ans en prison pour finalement être assassiné en forêt de Fontainebleau. Mais il obéissait à une certaine représentation alors que de Gaulle abordait la politique en militaire. Et donc il désobéissait par rapport à l’ordre politique des choses. Donc vous voyez que la question de l’obéissance à une certaine norme, à une certaine réalité dans la politique, est importante.