La stratégie
Attendez, je suis consultant en stratégie, je ne suis pas Dieu. Pour ce qui va se passer, je ne sais pas. Je sais comment on peut analyser les choses, je sais comment on peut utiliser les scénarios vraisemblables. « Mais si on vous paie, c’est pour savoir. » Et donc c’est très dangereux les gens qui ne savent pas et qui ne prennent pas conscience des limites de leur savoir. Moi, j’estime que si mes clients me paient, c’est parce que je sais des choses qu’ils ne savent pas. Entre autres sur les méthodes, la façon de faire des scénarios etc. Mais il y a une chose que je ne sais pas, c’est ce qu’est l’avenir. Parce que si je connaissais l’avenir, je jouerais en Bourse, je ne ferais pas du conseil en stratégie.
Et donc attention, les experts ne savent pas tout. D’ailleurs la Bourse est un bon exemple. Le point d’équilibre de la Bourse, c’est le point où 50 % des gens pensent qu’elle va monter et 50 % des gens pensent qu’elle va baisser. Donc par construction, si vous interrogez des experts de la Bourse, ils sont tous experts mais il y en a la moitié qui vous diront qu’elle va monter et la moitié qui vous diront qu’elle va baisser. Par définition. Et ça ne veut pas dire qu’ils ne sont pas experts. Mais il y a une chose qu’ils ne savent pas réellement, c’est ce qui va se passer.
D’ailleurs, si vous lisez des articles sur la Bourse c’est marrant parce qu’on fait des articles dans des journaux boursiers, les mêmes depuis des siècles. En fait, il y a deux modèles d’articles. Il y a des gens qui vous disent que la Bourse va monter sauf si elle baisse et il y a des articles qui vous expliquent que la Bourse va baisser sauf si elle monte. Vous n’en trouvez jamais d’autres. Et j’en ai lu, j’en ai lu, j’en ai lu. Et c’est normal.
Donc, attention, il y a une chose que les experts – et je pense que dans chaque domaine il est important de faire appel à l’expertise – ne savent pas, c’est l’avenir. Et l’objet de la stratégie n’est pas de prévoir l’avenir, c’est d’agir dans des scénarios vraisemblables. Ça c’est un peu choquant parce qu’on nous a appris l’inverse. D’ailleurs, je ne suis pas le seul ni le premier à le dire. Je crois que c’est Henry Mintzberg, dans son livre Grandeur et misère de la planification stratégique qui dit : « Toute activité de prévision est une perte de temps. »
Et parfois c’est pire, parce qu’il y a des gens qui finissent par croire à leurs prévisions, qui s’auto intoxiquent. Alors on fait des business plan, oui bien sûr. Mais pas pour raconter que ça va se passer comme dans le business plan. Le business plan, ça sert à calibrer des choses, à montrer quel est le succès vraisemblable qu’on voit, ça sert à obtenir de l’argent auprès des banques. Alors si vous discutez auprès des banques, vous comprendrez qu’ils sont en pleine confusion par rapport à cela.
Je ne suis pas contre, j’en fais. Mais dans quel esprit c’est fait ? Si vous êtes obligé de raconter des blagues aux autres, au moins ne vous les racontez pas à vous-même. Soyez conscients des limites de vos capacités. Des hypothèses ? Un business plan, ce sont des hypothèses. Ce qui est intéressant c’est : quelles sont les hypothèses qui fondent le business plan ? Quelles sont les hypothèses d’un scénario vraisemblable ? Ça c’est intéressant. Mais dire, ça va se passer comme ça…
Comme me l’avait dit ce patron que tu connais peut-être – Bertrand Martin – avec qui j’ai écrit Oser la confiance, il m’a dit : « Moi des plans stratégiques, j’en ai vu de toute sorte. Des très détaillés et des très succincts, des très intelligents et des très bêtes. Il n’y en a qu’un que je n’ai jamais vu, c’est un plan stratégique qui s’est réalisé. » Celui-là, il n’existe pas.
Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas faire des scénarios, avoir une vision prospective, faire des raisonnements vraisemblables, etc. Je ne vais pas prêcher contre ma paroisse, c’est ce que je fais du début à la fin de l’année. Mais dans un esprit qui n’est pas le système de valeur de certitude.