La sérendipité ou l’art de réussir sans le faire exprès
Donc, le concept de bonne décision n’est absolument pas éclairant. En plus, la bonne décision se juge sur les conséquences. Et là, il y a quand même un certain nombre d’inconvénients, c’est que les conséquences dépendent de ce qui va arriver premièrement et deuxièmement elles dépendent du moment auquel vous les regardez. Puisqu’il y a un principe qui dit qu’avec le temps toute chose se transforme en son contraire. C’est dans le succès que se mettent en place les ingrédients de l’échec et dans l’échec que se mettent en place les ingrédients du succès. Bien évidemment, si les Français – on va prendre une métaphore sportive – n’avaient pas été si brillants à la Coupe du monde de 1998 et au Championnat d’Europe de 2000, ils n’auraient pas connu ce retentissant échec en 2002. Vous regardez les conséquences de la décision, mais ça dépend à quelle échéance.
Une métaphore ou un apologue. Un monsieur a envie de fumer. Il allume une cigarette. Décision bonne ou mauvaise ? Dans cette séquence spatio-temporelle, elle est bonne. Il se fait plaisir avec une cigarette. Trente ans de tabac, cancer du poumon, décision bonne ou mauvaise ? Mauvaise. Il est soigné, il guérit, il écrit un best-seller sur son expérience. Décision bonne ou mauvaise ? Bonne. Il est invité partout à faire des conférences. L’avion s’écrase et sa veuve écrit sur sa tombe : « À mon mari sans les bonnes décisions duquel je n’aurais jamais goûté aux joies du veuvage. » Etc., etc.
Les Orientaux aiment bien ce genre de conte. Ils appellent cela la « sérendipité », les gens qui réussissent sans le faire exprès. Je ne sais pas si vous connaissez ce livre ou ce film Bienvenue mister Chance. C’est l’histoire d’un type qui a été élevé dans une maison dont il n’est jamais sorti. Il a simplement regardé la télé. Il ne sait pas lire, pas écrire, etc. Il n’a parlé à personne. Tout ce qu’il connaît du monde, c’est les jardins et la télévision. Un jour, le propriétaire de la maison meurt et on lui dit : « Vous partez. » Donc il part avec une valise et trois costumes. Et là en sortant, comme il ne connaît pas la rue, il est renversé par une voiture. La personne qui l’a renversé l’emmène chez elle et ensuite s’enchaînent tout un tas de circonstances qui font que très rapidement il va devenir président des États-Unis. Alors qu’il ne sait pas lire et qu’il ne connaît rien. Comme il ne connaît que le jardin, chaque fois qu’on lui parle il répond par des métaphores sur le jardin. Et tout le monde trouve ça génial. Sur la décision c’est très marrant la façon dont c’est construit.
Mais c’est assez contraire à notre idée de la décision. Notre idée de la décision valorise le décideur. Les circonstances sont contraires mais heureusement les circonstances sont plus fortes que le décideur. Les contes orientaux aiment bien construire des succès qui ne reposent sur aucun mérite. Pour nous, notre héros type est Tintin. Tout se ligue contre lui mais comme il est Tintin, il va s’en sortir à la fin. Le décideur est plus fort que l’adversité. L’idée que l’on puisse réussir sans l’avoir mérité, ça ne nous plaît pas.