La persuasion

 

La persuasion

 

Qu’est-ce que nous faisons, habituellement, dans la communication ? Eh bien sachez que la méthode de changement la plus utilisée dans l’entreprise, c’est la persuasion. C’est-à-dire que dès qu’on veut faire un changement, on se pose la question suivante : comment on va communiquer ?

Alors quels sont les postulats de la persuasion ? Bien, je me dis que ce que je veux changer, c’est ce que fait l’autre – je suis sorti là du management autoritaire où j’utilise le rapport de forces pour faire changer l’autre, sinon, si j’utilise le rapport de forces, je ne me pose même pas la question de la communication – et donc je me dis, ce que fait l’autre dépend de ses croyances et en communicant, je vais changer ses croyances. Voilà, ça c’est la méthode de changement la plus utilisée dans les entreprises.

Alors on va la tester tout de suite. On va tester son efficacité. Est-ce qu’il y a des fumeurs dans la salle ? Oui, tu es fumeur, Hervé. D’accord. Bon, alors on va tester. Hervé, je vais t’expliquer que c’est mauvais pour ta santé de fumer. Si la méthode marche – tu me crois Hervé ? – eh bien donc tu vas arrêter de fumer. Vous voyez le degré d’efficacité. Et ça me frappe de voir à quel point dans les entreprises, la méthode de changement la plus utilisée est celle qui marche le moins.

Alors il y a une raison pour ça. C’est que c’est une méthode toujours disponible. Ça ne coûte rien de l’utiliser. « C’est-à-dire qu’il y a des méthodes pour changer ? – Oui bien sûr, il y a des méthodes pour changer, mais ce n’est pas celle-là. » Alors pourquoi ça marche si mal ?

Premier postulat c’est : quand je dis quelque chose à quelqu’un, il me croit. Postulat de communication hypodermique, c’est-à-dire : ma communication entre dans le cerveau de l’autre comme le contenu de la seringue entre dans mon corps quand on me fait une piqûre. Absurde. Pourquoi ? Parce qu’il se produit deux phénomènes. D’abord quand vous communiquez avec quelqu’un, vous dérangez ses représentations. Donc il l’accepte ou il ne l’accepte pas. Et deuxièmement, s’il l’accepte ça suppose de reconstruire ses représentations. Ce qui veut dire que ce que la personne comprend est toujours un petit peu différent de ce que vous dites. Comme disait Alan Greenspan : « Si vous m’avez bien compris, c’est que je n’ai pas été clair. » Le malentendu est l’essence de la communication. C’est-à-dire que quand vous dites quelque chose à quelqu’un, il comprend quelque chose, à partir de ce que vous dites. Pas forcément ce que vous avez dit.

Évidemment, dans les entreprises, on attend d’être dans le couloir pour rigoler. Mais bon, c’est un autre sujet.

Deuxième point faible : postulat de rationalité quand je crois quelque chose, j’agis en conformité avec ce que je crois. Un jour, je suis arrêté dans un village des Vosges à 105 km/h. Limité à cinquante ou soixante. Et assez curieusement, le policier qui ne connaissait peut-être pas ce schéma me fait des questions sur la persuasion. Il me dit : « Mais monsieur, vous ne sympathisez pas avec la cause de la sécurité routière ? » Je luis dis : « Mais si, je sympathise complètement. » Il me dit : « Eh bien alors, pourquoi vous traversez un village à 105 km/h ? » Je lui : « Eh bien c’est très simple. En fait je vais faire une conférence, j’ai loué une voiture. On me l’a donnée en retard, donc j’ai deux heures de retard pour aller faire ma conférence. Donc j’essaie de gagner du temps. Voilà. » Et là, il me dit : « Mais votre conférence, c’est sur quoi ? » Et je lui dis la vérité, je lui dis : « C’est sur le temps. » Il me dit : « Vous commencez très mal. » Ce qui était assez finement observé. Il n’en demeure pas moins qu’il venait de découvrir que ce schéma ne fonctionne pas parce qu’il y a toujours plusieurs causes à une action. Autrement dit, je vais agir en fonction de mes croyances, sauf si j’ai une bonne raison d’agir différemment. Je vais respecter les limitations de vitesse, parce que je sympathise avec la cause de la sécurité routière, sauf si j’ai une raison pressante de ne pas le faire. Il y a toujours plusieurs causes à un acte. Hervé va peut-être s’arrêter de fumer s’il est convaincu. Sauf s’il en a trop envie. Parce que la vraie raison pour laquelle le fumeur fume, ce n’est pas parce qu’il croit que c’est bon pour la santé, c’est parce qu’il en a envie. Ce schéma ne change rien à ça.

Alors vous voyez que par rapport à ça, la désobéissance, c’est tout autre chose dans la communication. Pourquoi ? Parce que là, je suis dans le refus de la représentation de l’autre. Je vais t’expliquer. J’ai raison, tu as tort. D’accord ? Et donc, pourquoi ça ne marche pas ? C’est que déjà, je n’entre pas vraiment en relation avec l’autre quand je lui fais de la communication. D’accord. Puisque je ne prends pas en compte sa représentation.

Milton Erickson, il y a une autre histoire assez célèbre. C’est l’histoire d’un petit gamin – alors vous avez peut-être eu ça – qui se réveillait la nuit. Cauchemar, il avait vu des monstres. Votre gamin toutes les nuits se réveille et dit : « Les monstres, les monstres ! » Qu’est-ce que vous faites ? Eh bien la solution de bon sens, qui ne marche pas, c’est de lui expliquer qu’il n’y a pas de monstres. Et pourquoi ça ne marche pas ? Parce que vous refusez. Lui, il a vraiment rêvé qu’il y avait des monstres. Il a vraiment vu des monstres. Donc si vous lui expliquez qu’il n’y en a pas, vous lui expliquez qu’il a tort et donc vous ne communiquez pas avec lui. Et un jour, Milton Erickson – on lui a fait part du cas – dit : « Bon écoutez, je vais m’en occuper. Mais surtout, ce que je vais faire, vous n’allez pas à l’encontre. » Un soir, il sonne et il dit aux parents : « C’est bien ici qu’il y a un petit garçon qui voit des monstres la nuit. On m’a signalé ça. – Oui, oui, tout à fait. – Ça ne m’étonne pas, on en a signalé beaucoup dans le quartier. » Et il va voir le gamin et il lui dit : « Oui, tu vois des monstres toutes les nuits. Ah bien oui, bien sûr. C’est classique. » Il dit : « Eh bien j’ai une potion qui tue les monstres. » Et il met la potion dans le bol à côté de son lit. Et il dit aux parents : « Quand il dort, vous allez vider le bol. »

Au milieu de la nuit, le gamin se réveille : « Les monstres, les monstres ! » Les parents arrivent. « Ah oui, les monstres sont passés, la preuve, le bol est vide. Et avec ce qu’ils ont avalé, c’est sûr qu’on ne les reverra plus. Ils sont morts. » Et l’enfant ne voit plus de monstres. Vous voyez que là, il y a une prodigieuse désobéissance à la logique, à la rationalité de l’adulte. Mais il y a un effet sur le changement.

Share Button