La paresse ou le règne de l’idée reçue

 

La paresse ou le règne de l’idée reçue

 

 

« – Qu’est-ce qu’on peut bien faire avec six milliards ?

- Rien ! C’est ça l’agrément. Ça permet de plus rien foutre. »

Michel Audiard

« Comment les Français peuvent-ils travailler trente-cinq heures alors qu’il n’y a que vingt-quatre heures par jour ? »

Gracchus Cassar

 

   Paresse« Ce n’est pas pour critiquer, c’est juste pour comprendre, pourquoi le mot  » innovation  » en gros sur ce document ? Pourquoi parlez-vous d’innovation ?

-       C’est dans la stratégie.

-       Bien sûr, bien sûr la stratégie. Où avais-je la tête ? Et  » qualité « , pourquoi affichez-vous le mot  » qualité  » ?

-       Mais enfin, c’est évident, pour réussir, il faut un produit et un service de qualité. Tout le monde sait cela.

-       Ah bon, excusez-moi. Mais alors, pourquoi n’est-ce pas dans la stratégie ?

-       Mais évidemment que c’est dans la stratégie. La qualité, c’est stratégique. Vous en doutez ?

-       Moi ? Non. Alors votre stratégie, c’est  » innovation  » et  » qualité « , si je comprends bien ?

-       Euh, oui, en gros oui. Enfin presque.

-       Il y a autre chose ?

-       Ah ben oui, tout de même. Regarder ce power point, il y a aussi le mot  » service  » écrit en très gros.

-       Ah oui,  » service « . C’est intéressant cela. C’est important le service, il vaut mieux l’écrire en gros.

-       C’est même très important. Sans service de qualité, pas de clients fidèles.

-       Alors votre stratégie c’est  » innovation « ,  » qualité  » et  » service « , si je comprends bien ?

-       Exactement, c’est exactement cela.

-       Je vois, je vois. Il est d’ailleurs très beau votre power point. Vous pourrez féliciter le graphiste qui l’a réalisé. Les couleurs sont harmonieusement choisies et le graphisme est très élégant.

-       Oui, vous trouvez, vous aussi. Nous avons une très bonne équipe pour cela.

-       Mais revenons à la stratégie. Ça c’est le power point qui explique la stratégie ?

-       Complètement !

-       Et la stratégie c’est  » innovation « ,  » qualité  » et  » service  » ?

-       Exactement, nous y sommes.

-       Et pourquoi  » innovation « ,  » qualité  » et  » service  » ?

-       Eh bien c’est écrit dans le power point.

-       Il est écrit dans le power point pourquoi vous avez choisi ces trois mots ?

-       Euh, oui, il me semble. Vous ne trouvez pas ?

-       C’est écrit où ? Vous pouvez me montrer ?

-       Ben là !

-       Là il y a écrit  » innovation « ,  » qualité  » et  » service « . Ça j’ai compris. Je voudrais simplement voir la partie du power point où il est écrit pourquoi vous avez choisi ces trois mots.

-       Euh, c’est un peu compliqué. Attendez, on va trouver.

-       Prenez votre temps, nous ne sommes pas pressés.

-       Si tout de même. Allez vite, c’est stratégique.

-       Je croyais que ce qui était stratégique, c’était  » innovation « ,  » qualité  » et  » service  » ?

-       Eh bien la vitesse aussi c’est complètement stratégique. D’ailleurs ici on appelle cela la réactivité.

-       Mais pourquoi n’est-ce pas dans le power point alors ?

-       Oh là là, on ne pouvait pas tout mettre dans le power point. Et puis c’est assez évident, non, que la vitesse est stratégique ?

-       Peut-être. Mais peu importe. J’ai une autre question. Ce n’est pas pour critiquer, hein, c’est juste pour comprendre. Alors l’anticipation, ce n’est pas stratégique ?

-       Pourquoi dites-vous cela ? Bien sûr que si, c’est stratégique.

-       Je dis cela parce que ce n’est pas dans le power point. Et puis il me semble que pour anticiper, il ne faut pas aller vite puisqu’il faut prendre le temps d’élaborer des scénarios. Enfin je dis cela, mais je n’y connais pas grand-chose.

-       Je ne vous le fais pas dire. Pour anticiper, bien sûr, il faut aller vite. Et si vitesse et anticipation ne sont pas dans le power point, ce n’est pas parce que ce n’est pas stratégique, c’est parce qu’il est évident que c’est stratégique.

-       D’accord, d’accord. Vous savez moi ce n’est pas mon métier, la stratégie. Mais avec tout ça nous n’avons toujours pas trouvé où était expliqué dans le power point pourquoi la stratégie se définit par  » innovation « ,  » qualité  » et  » service « .

-       Eh bien c’est dans le power point. Regardez, c’est écrit au début.

-       D’accord, d’accord mais pourquoi ?

-       Eh bien, c’est là. Dans le schéma de la page 12. Vous ne voyez pas ?

-       Euh…

-       Suivez la flèche. Vous arrivez sur le pavé qui montre que l’innovation est stratégique.

-       Où ça ?

-       Là, dans le pavé. D’ailleurs le graphiste a mis la couleur bleue qui est le repère chez nous pour dire que c’est stratégique. Vous retrouvez cette couleur page 19 pour la  » qualité  » et page 27 pour le  » service « . Donc vous voyez bien que  » innovation « ,  » qualité  » et  » service  » sont stratégiques.

-       En fait, c’est stratégique parce que c’est écrit en bleu.

-       Complètement. C’est le code couleur chez nous : dès que c’est stratégique, c’est écrit en bleu.

-       Il fallait me le dire tout de suite. Comment voulez-vous que je le devine ?

-       Mais je me tue à vous le dire.

-       Au fait, dites-moi, ce n’est pas pour critiquer, hein, c’est juste pour comprendre. À propos de votre histoire de couleur bleue, ce ne serait pas le graphiste qui ferait la stratégie, par hasard ?

-       Bon, écoutez-moi. C’est finalement très simple à comprendre si on y met un peu du sien. La stratégie, c’est la couleur bleue, voilà. »

Toute ressemblance avec des circonstances existantes ou ayant existées serait purement fortuite, on l’aura compris. Néanmoins, power point se révèle à l’usage un outil génial. Il permet aux dirigeants de faire faire leur travail par des graphistes quand ce n’est pas par leur assistante. Il n’y a pas beaucoup d’herbe sur la Lune et il n’y a pas beaucoup de pensée hypothético-déductive dans power point.

« Si l’on n’a rien à se dire, on se voit et on en parle », aimait à dire Raymond Devos. Dans l’univers professionnel, cet aphorisme prend une résonance subtile. Ce n’est pas parce que l’on ne dit plus rien qu’on ne communique pas. C’est même plutôt l’inverse. Moins on en dit, plus on communique. Pour soutenir ce paradoxe, masquer son pesant ridicule, il faut des outils de communication qui fleurissent la forme pour masquer l’indigence du fonds. Avec un power point de bonne facture, n’importe qui peut présenter un exposé d’une heure et ne rien dire sans que nul ne se risque à trouver l’exposé un peu creux. Si on n’a rien à se dire, on se réunit autour d’un power point.

D’ailleurs, les outils modernes de communication protègent d’autant mieux le public qu’il peut lui-même consacrer son temps à répondre à ses e-mails, ordinateur sur les genoux. Comme jadis on lisait en douce son journal à la messe.

Le power point devient le rituel de la non-pensée du management, cet outil merveilleux qui permet de s’exprimer sans rien dire. Comme à la messe, comme dans les rituels, l’important est de communier ensemble, même si l’on n’est pas très conscient de ce que l’on prétend dire. Après tout, pendant des siècles on a dit la messe en latin devant des paysans qui comprenaient à peine le français sans que cela ne dérange personne, pas même Dieu.

Le power point a donc lui aussi sa langue morte dont la quadrichromie est davantage que l’enluminure. Quand la vision du vide alterne avec celle du néant, c’est en couleur.

Les expressions dénuées de sens, tout d’abord.

Ce latin de bas Moyen Âge est constitué d’un certain nombre de mots valises dont il faut placer quelques spécimens dans chaque phrase et dont le sens est inexistant ou inconnu. « Les marchés pensent que… », entend-on. Problème, les marchés n’existent pas en tant que tels et s’ils existaient, il est clair qu’ils ne penseraient pas. Les marchés ne sont pas un être doté de conscience. La demande, l’offre, le client emblématique, l’accélération du changement, le processus de décision, le marketing mix : autant d’expressions couramment utilisées dont nous serions bien embarrassés de préciser ce qu’elles recouvrent. « Nous devons reprofiler nos processus marketing pour élaborer un mix produit plus en ligne avec les tendances émergentes des segments de marchés prescripteurs et les attentes des clients emblématiques. » Quand vous avez entendu cela, au moins vous êtes sûr de savoir clairement et concrètement par quoi vous devez commencer le lendemain matin à neuf heures, quand vous serez seul devant votre téléphone et votre ordinateur gorgé jusqu’à la glotte de power point.

L’important, surtout, c’est de rester pragmatique.

On l’aura compris, ce rituel n’a pour fonction que de masquer la paresse fondamentale qui encombre l’organisation. Car si l’on commence à réfléchir à ce que l’on fait, à le penser sensément et à le faire réellement, il va falloir travailler. Pour éviter ce désagrément, on peut lui substituer une agitation brownienne. On remplace le travail par un discours ronflant qui sous couvert d’agitation permet de ne rien faire. Cette communication a la couleur de l’action, l’odeur de l’action, mais elle n’en est qu’un pitoyable ersatz. Tout comme la scolastique moyenâgeuse qui se parait des mots de la spiritualité.

On ne dénoncera jamais assez l’intrinsèque paresse des agités, leur fondamentale inefficience et l’inventivité verbale ou informatique de leur camouflage.

Après les mots valises, ceux dont on ignore le sens. Il s’agit en fait de mots boucliers qui protègent des critiques, d’autant mieux qu’on ne sait pas bien ce qu’ils signifient dans le contexte où ils sont employés. Par exemple, il est assez utile d’utiliser le mot « stratégique » toutes les deux phrases. Surtout si ce dont on parle n’est pas stratégique. Comme un certain dictateur allemand qui dans ses discours employait le mot « paix » toutes les deux phrases pour mieux préparer la guerre, le mot « stratégique » permet de négliger la stratégie sans se faire accuser d’ignorance de la stratégie puisque l’on n’a que ce mot-là à la bouche. Le dire dans ce cas permet de ne pas faire. Ces mots boucliers forment l’ossature du glossaire des power point. Mais cette ossature reste squelettique tant la paresse lui fait conjuguer l’ignorance et l’indigence de la pensée. Que veut dire le mot « stratégique » ainsi accommodé à toutes les sauces ? On serait bien en peine de le savoir. Les mots boucliers – boucliers de la paresse – fleurissent avec une impeccable récurrence : « adaptation » qui accompagne en général « changement ». En effet, le manager paresseux a découvert un scoop d’une particulière originalité : le monde change. Comme cela ne fait que quelques millénaires qu’on le sait, il faut une particulière prescience, une intuition à toute épreuve et une rare capacité de conceptualisation pour s’en aviser. Et donc, comme le monde change, il faut s’adapter au changement. Puisque l’homme intelligent s’adapte à son environnement et que l’imbécile cherche à adapter son environnement à lui. Cela va de soi et ce n’est pas le fait que tous les progrès de l’humanité aient été impulsés par des imbéciles qui va nous troubler.

 Confidence d’après conférence, lors d’un dîner avec des DRH qui n’étaient pas tout à fait déhérachants et n’avaient peut-être pas tous terminés leurs études de déhérachure :

« De toute façon chez nous, nous ne parlons plus de changement. Le concept est usé. Nous parlons d’accélération du changement.

-      C’est quoi l’accélération du changement ?

-      Eh bien c’est un peu compliqué.

-      Pourquoi ?

-      Il y a beaucoup de schémas dans la méthode. Et puis des mots à consonance anglo-saxonne.

-      Et ils expliquent quoi, ces schémas ?

-      Oh nous, nous n’en savons rien.

-      Comment ça, vous n’en savez rien ? C’est tout de même votre job de le savoir.

-      Certes, mais nous n’en savons rien quand même.

-      Cela ne vous gêne pas ?

-      C’est-à-dire qu’en fait, nous devons expliquer la méthode. Alors forcément, le fait de n’y rien comprendre pourrait nous gêner.

-      C’est juste impossible d’expliquer ce que l’on ne comprend pas.

-      Non, cela ne marche pas comme ça. Car voyez-vous, personne n’y comprend rien. Nous ne sommes pas les seuls dans cette situation. Ceux qui nous expliquent la méthode ne la comprennent pas plus que nous et ceux à qui nous ne l’expliquons pas davantage. Alors, tant qu’il n’y a pas un enfant pour dire que le roi est nu, il n’y a pas de problème. Notre job, c’est d’expliquer des choses que nous ne comprenons pas à des gens qui n’ont pas besoin de les comprendre. »

 Autre mot bouclier que nous avons déjà croisé dans les méandres de la paresse : le mot « innovation ». Un mot qui en première approximation n’évoque pas la paresse. Quoi de plus évocateur de l’effort que cette volonté de faire du nouveau en sortant des sentiers battus ? Il faut innover, donc. Et si vous avez un doute – non tout de même pas – disons un soupçon d’hésitation, on vous expliquera qu’innover c’est stratégique. Alors, vous voyez bien, tout se tient. Remarquez que c’est normal, si le monde change, il vaut mieux innover pour s’adapter.

« Personne n’a jamais défilé pour demander des cartes à puce », aimait à rappeler Roland Moreno, l’inventeur de la carte à puce et l’auteur d’un livre de management au titre propitiatoire : Théorie du bordel ambiant[1]. S’adapter et innover sont deux processus assez différents et souvent exclusifs l’un de l’autre. Mais foin de ces subtilités, on les embarquera ensemble et en connaissance cause sur le ferry-boat des mots boucliers qui fait indéfiniment l’aller retour entre le vide de la pensée et le néant du discours.

Car le mot bouclier « innovation » nous conduit tout droit aux idées reçues qui sont rebaptisées stratégiques dans l’entreprise. Donc il faut innover, c’est stratégique. Pourquoi l’innovation est-elle stratégique ? Parce qu’aucune entreprise ne survit sans innover, tout le monde sait cela. « Et pourquoi aucune entreprise ne peut-elle survivre sans innover ? – Ah, eh bien vous avez la tête dure vous, parce que l’innovation est stratégique. D’ailleurs on l’a déjà dit, essayez de suivre. »

Veuillez m’excuser. Un instant de distraction.

Quel Gustave Flaubert dressera le dictionnaire des idées reçues en management ? « Idée reçue » : n’en parler jamais, utiliser toujours. Sacré Gustave.

Réfléchir : tonner contre. Dire à haute voix : « Un con qui marche va plus loin qu’un intellectuel assis. » Très chic.

Pragmatisme : applaudir bruyamment puis dire d’un air profond : « L’important c’est de rester pragmatique. » Respecter un silence pour un temps de méditation.

Les idées reçues donc ! Exemple.

Il faut se différencier de ses concurrents, être différent, faire autre chose. Telle est la quintessence de la pensée stratégique.

« Moi je voudrais un autoradio pour écouter la radio dans ma voiture.

-      Ah bon, mais alors vous le voulez avec lecteur de disque numérique ou avec lecteur de cassette ?

-       Ben à vrai dire, c’est pour la radio.

-       Mais vous voulez la fonction de recherche automatique de station par balayage des fréquences ?

-       Vous croyez ?

-       C’est indispensable. Bien sûr, il vous faut aussi la modulation de phase et la modulation d’amplitude, quatre haut-parleurs et le tuning ?

-       En fait, c’est pour écouter la radio.

-       Oui, mais pour la musique, il vous faut la qualité du son. Il faudra programmer les trente-six stations et…

-       Et quoi ?

-       Eh bien, il vous faut le programme de suivi des fréquences quand vous changez de région pour la modulation de fréquence, parce que pour la modulation d’amplitude, ce n’est pas la peine, naturellement.

-       Naturellement.

-       Ça vous ira ?

-       Mais je pourrai écouter la radio ?

-       Vous plaisantez. Mais au fait j’y pense, avec tout ça il vous faut absolument un GPS.

-       Un GPS ?

-       Oui, pour ne pas vous perdre ?

-       Ah mais dites donc, vous n’êtes pas monté avec un GPS incorporé, vous ?

-       Que vous voulez-vous dire ?

-       Je suis un peu perdu.

-       Bon alors pour le GPS ?

-       On peut écouter la radio, avec un GPS ? »

Quand j’ai une fuite dans ma salle de bain, j’appelle un plombier et je lui demande ce qu’il faut faire. Si c’est un bon plombier, il me répond : « Ça dépend ! » Ça dépend en effet parce qu’il existe différentes causes de fuite et donc différentes façons de les réparer. Il en va de même pour la différenciation. Faut-il se différencier ? En fait ça dépend. Il y a différentes situations stratégiques et donc différentes façons d’y répondre.

Un des intérêts de faire un produit différent de celui de ses concurrents est de pouvoir vendre un peu plus cher ou d’éviter de baisser les prix. Mais si le client n’est pas prêt à rémunérer cette différence, on a simplement trouvé un moyen de produire plus cher sans vendre plus cher. Ce qui n’est tout de même pas un exploit stratégique. Mais peut devenir une façon sophistiquée de perdre de l’argent.

Dire qu’il faut se différencier de ses concurrents en toute situation revient à faire de la différenciation une idéologie. L’idéologie, qui est l’inverse de la stratégie, se caractérise par une idée qui doit s’appliquer en toutes circonstances. Sa pertinence ne dépend pas de la réalité à laquelle elle doit s’appliquer.

L’idéologie nous permet donc de résoudre les problèmes sans avoir à les connaître. Elle est un merveilleux alibi de la paresse, sa fidèle compagne. La caractéristique la plus reconnaissable du dirigeant paresseux est sa paresse intellectuelle : il aborde la stratégie de façon idéologique. Et si ce péché est le dernier des sept péchés capitaux, il n’est pas le moins capital tant il révèle d’efficacité et parfois de rapidité pour mettre une entreprise en difficulté et avec un peu de chance en faillite.

L’autre avantage de la paresse intellectuelle est de permettre d’aborder aussi les êtres humains de façon idéologique. Le dirigeant paresseux sait a priori comment fonctionnent les gens. Il communique avec quelques clichés : les femmes sont susceptibles, les jeunes en veulent, les ouvriers n’écoutent que ce qui est simple, il suffit de les motiver pour obtenir de la performance, etc.

Tout problème de management étant ainsi ramené à un problème de communication et tout problème de communication étant réduit à une technique de communication, il ne peut rien se passer de fâcheux une fois que l’on est sorti de son stage de communication. Rien, sinon la franche hilarité de ceux à qui l’on applique les fameuses techniques de communication.

Le dirigeant paresseux fonctionne avec quelques idées qu’il rabâche : 1) il faut mettre le client au centre de l’entreprise, 2) il faut se différencier de ses concurrents (sautant à pieds joints par-dessus la contradiction entre ces deux idées) 3) quand il apparaît une difficulté, il faut communiquer davantage, s’expliquer jusqu’à ce qu’ils comprennent.

Ces idées ont ceci d’intéressant et de pernicieux qu’il leur arrive de réussir dans certaines circonstances. S’appuyant sur des succès circonstanciels, le dirigeant paresseux en fera des règles générales qu’il appliquera avec obstination, car la paresse intellectuelle n’exclut pas l’obstination. C’est même à cela qu’on la reconnaît.[2]

Comme l’action est agréable quand elle consiste à mettre en œuvre trois idées, contre vents et marées. Quand chaque échec est promesse d’un succès prochain et annoncé à grands coups de clairons, quand les effets d’annonce tiennent lieu de réalité, quand communiquer résume l’action. « Je vous ai fait des promesses. Eh bien ces promesses, je continuerai de vous les faire. » Quand la stratégie se définit par un code couleur. Quand on peut extraire des idées générales de circonstances particulières.

Oui, l’action est agréable, alors communiquons, communiquons allègrement. Si jamais tout cela tourne mal, il existe bien des golden parachutes moelleux pour adoucir les chutes un peu brusques de ceux qui auraient le postérieur sensible. Staline en son temps avait énoncé un principe réaliste du fonctionnement politique du système communiste : « L’important n’est pas de savoir qui vote mais de savoir qui dépouille les élections. » Il existe dans le système capitaliste un principe assez voisin : « L’essentiel n’est pas de bien ou mal diriger, l’essentiel est de savoir qui paie l’addition quand ça tourne mal. » Entre les paresseux et les tondus, le partage des rôles est ancestral.


[1] Roland Moreno : Théorie du bordel ambiant, L’Archipel, 2002.

[2] « Les cons, ça ose tout. C’est même à ça qu’on les reconnaît. » Michel Audiard, Les Tontons flingueurs.

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