Je n’aime pas l’apocalypse
Bonjour les stratèges et les autres. Alors je ne sais pas si vous avez remarqué, mais on parle dans notre monde beaucoup de crise. Alors en fait, on parle de crise depuis des siècles, il n’y a pas eu de semaine en France, depuis le xviiie siècle où on n’ait pas dit qu’on vivait une crise. Ce qui normalement signale une discontinuité. Le concept d’une crise qui continue, c’est-à-dire d’une discontinuité continue, est un concept assez obscur. Alors depuis quelques années, on est passé à une autre période, enfin il y a quelque chose qui s’ajoute à la crise, c’est la notion d’apocalypse. C’est-à-dire que non seulement on vous dit que c’est une crise mais que grosso modo si on ne change pas tout dans les deux ans, on est foutu, le monde va disparaître. Alors il y a l’écologie – le problème écologique est devenu une urgence écologique, ce qui veut dire l’urgence c’est qu’il faut éviter l’apocalypse – mais les problèmes économiques… Effectivement on nous annonce que tout va sauter dans les six mois, que le capitalisme est mort, etc., etc.
Je n’aime pas beaucoup ce discours assez convenu. Enfin en fait je pense qu’il nous masque la réalité. D’abord les apocalypses, ça ne se passe pas souvent. Par contre, les prophètes de l’apocalypse, c’est de tout temps. Pourquoi ? Parce que, comme le disait Aristote, si vous voulez dominer le peuple, il faut l’amuser et l’effrayer. En fait, c’est un discours pour faire peur et faire peur ça sert à prendre du pouvoir. Mais ce n’est pas un discours lucide. Vous savez que pour régler les problèmes, il vaut mieux avoir un diagnostic objectif qu’un discours apocalyptique. Parce que si le diagnostic est objectif, les solutions ont des chances d’être pertinentes. Donc il y a derrière une espèce de projet politique de prise de pouvoir qui consiste à nous effrayer. Et quand on a trop peur, on ne raisonne pas juste et on n’est pas dans une attitude stratégique.
Qu’est-ce que ça veut dire quand quelqu’un vous dit : « C’est la crise » ? En fait, il vous dit que le monde change d’une façon qu’il n’avait pas pressentie. Car non seulement le monde change, mais le changement change. C’est-à-dire le monde change et à chaque période, il ne change pas de la même façon. Donc on est surpris par le changement, ça n’aurait pas dû se passer comme ça, parce que quand nous pensons aux changements d’avenir, nous avons tendance à prolonger les changements du passé. C’est-à-dire des changements quantitatifs, des changements de degrés alors qu’il y a des changements qualitatifs, des changements de nature. Et cela a toujours été, donc quand on vous dit : « C’est la crise », on dit simplement qu’on est dérouté par un changement qualitatif qu’on n’avait pas vu venir. Et ça, figurez-vous qu’on le dit toutes les époques. Donc retenez cela, quand on vous dit que c’est la crise, c’est que ce n’est pas la crise, quand on vous dit que l’apocalypse va vous tomber dessus, c’est que l’apocalypse ne va pas nous tomber dessus. Et par contre, soyez conscient que le changement lui-même change. Ça ne va pas changer toujours de la même façon.
Voilà, les stratèges et les autres, ce que je voulais vous dire sur ce discours apocalyptique dans lequel on baigne. Mais rassurez-vous qui ne m’empêche pas de sourire et d’avoir une cravate empreinte de couleurs optimistes. À bientôt.