Emmanuel Macron et le casse du siècle
Bonjour les stratèges et les autres. Il y a quelques temps, BFM TV a fait un reportage sur l’élection, l’étonnante élection d’Emanuel Macron en 2017, qu’il a appelé « le casse du siècle ». Et d’ailleurs il paraît qu’Emanuel Macron, quand il est entré à l’Élysée, a dit à son équipe : « On a réalisé le casse du siècle, mais c’est vrai qu’on connaissait le proprio et qu’on avait les plans. » Puisqu’Emmanuel Macron avait passé quelques temps à travailler à l’Élysée avec François Hollande. Et cela m’a fait penser qu’effectivement cette élection étonnante, cette réussite étonnante, a des raisons stratégiques qu’on peut voir. En fait, Emmanuel Macron s’est montré un brillant stratège. Ça on peut le constater mais il faut essayer d’entrer un peu plus dans le détail.
Tous les commentateurs politiques, pendant toute la campagne, prédisaient qu’Emmanuel Macron ne gagnerait pas, qu’il n’irait pas jusqu’au bout. Pourquoi ? Parce que c’était contraire aux règles du jeu puisqu’il y avait une règle du jeu, une croyance : c’est que pour gagner une élection présidentielle, il fallait disposer d’un parti puissant. C’était fondé sur des expériences passées, Balladur, etc.
Donc il ne pouvait pas gagner. Donc c’est la première raison stratégique pour laquelle Emmanuel Macron a pu gagner, c’est qu’il ne s’est pas laissé enfermer par des croyances passées. Le fait qu’on ne pouvait pas gagner sans parti, c’était une espèce de croyance de la Cinquième République mais ce n’était pas un théorème, ce n’était pas démontré et d’ailleurs, en 1958, de Gaulle a pris le pouvoir à un moment où son parti avait quasiment disparu. Donc premièrement il ne s’est pas laissé enfermer par des croyances passées. Ce qui l’a conduit à ne pas se présenter à la primaire socialiste. Et s’il s’était présenté à la primaire socialiste, il ne serait probablement pas devenu président de la République. Donc là il a raisonné différemment des autres qui étaient dans leurs croyances.
Deuxièmement, il a bien analysé les espaces politiques. C’est-à-dire qu’il a vu qu’un espace s’ouvrait au centre parce que le parti socialiste avait son aile gauche qui se faisait manger par Mélenchon et du coup son aile droite était un peu en déréliction et d’ailleurs elle était contestée. Donc une partie de l’aile droite du parti socialiste était prête à le rejoindre et en tous cas pour les électeurs, il y avait un espace qui s’ouvrait là. Et il y avait finalement le même phénomène à droite, qui a été renforcé par les primaires. C’est que Fillon qui représentait l’aile droite des Républicains, du coup son aile centriste était prête à s’ouvrir à une démarche centriste. En fait, l’espace qui s’est ouvert au centre, il est dû au phénomène des primaires qui font que ce sont plutôt les candidats des extrêmes qui l’emportent et donc il y a un candidat au centre qui peut récupérer l’autre côté de l’omelette.
Troisièmement, il a fait des paris justes et lucides sur ses adversaires. C’est-à-dire que effectivement, Emmanuel Macron était sur un espace politique qui était assez proche d’Alain Juppé et ça l’aidait beaucoup pour gagner que Alain Juppé ne gagne pas la primaire. Dès le départ, il a pensé que Alain Juppé ne gagnerait pas la primaire. Là-dessus, il ne s’est pas trompé. Il ne s’est pas trompé sur Manuel Valls qui était lui sur le positionnement plus centriste du Parti Socialiste. C’était le favori de la primaire, dès le départ il a pensé que Manuel Valls ne remporterait pas la primaire. Il ne s’est pas trompé, c’est Hamon qui l’a emporté. Et troisième point, il ne s’est pas trompé sur François Fillon puisque à un moment, quand François Fillon avait des ennuis judiciaires, comme on sait, avec sa femme, etc. certains pensaient que François Fillon allait se retirer, que ce serait Juppé le candidat et que ça rendrait l’élection d’Emmanuel Macron plus difficile. Et là Emmanuel Macron a dit non, Fillon ne se retirera pas parce que c’est un bourgeois du xixe siècle qui ne voit même pas où est le problème. Si ahurissant que cela puisse paraître, effectivement, François Fillon s’est enfermé dans une attitude autiste comme si il ne comprenait pas quel est le problème qu’il posait à ses électeurs.
Et quatrième point, mais plus classique, c’est que Emmanuel Macron s’est sorti de la tactique politicienne, même si on vient de voir que du point de vue tactique, il a été assez habile, en revenant à l’essentiel, c’est-à-dire à un projet d’avenir. Si on regarde bien, au-delà des aspects purement de communication, c’est comme ça qu’il a remporté le débat face à Marine Le Pen. C’est en disant : voilà moi ce que je propose de faire et ça a sa cohérence et ça a aussi une certaine forme de modernisme et de nouveauté.
Donc la réunion de ces quatre points : se libérer des croyances passées, voir qu’un espace politique est en train de s’ouvrir, ne pas se tromper sur ses adversaires et leurs faiblesses et dessiner un projet, un avenir voulu, à la fois moderne et nouveau, eh bien tout ceci a fait une bonne stratégie. Alors bien sûr, tout ceci ne fait pas tout, la chance l’a un peu aidé. Les costumes de François Fillon, les maladresses d’Alain Juppé, etc., etc. Il ne s’est pas trompé sur ses adversaires non plus. François Hollande… il a compris assez tôt que François Hollande ne pourrait pas se représenter.
Voilà, les stratèges et les autres, voilà les leçons stratégiques qui peuvent ressortir de cette étonnante victoire qui ressemble plutôt au Pont d’Arcole qu’à autre chose. Bonne chance pour la suite à ce jeune et talentueux président. À bientôt.