Alstom Siemens Ouf ! pas de fusion
Bonjour les stratèges et les autres. Alors en ce début d’année 2019 où j’enregistre cette vidéo, un thème de stratégie industrielle vient de défrayer l’actualité ou la chronique, ce qui n’est pas si fréquent. Il s’agit de la fusion Siemens Alstom. Alors donc Alstom grande entreprise française – enfin prétendument française – qui fait des trains, des métros et Siemens, grande entreprise allemande, qui fait la même chose. Et ces deux entreprises ont eu l’idée de fusionner. Malheureusement, enfin semble-t-il, la commissaire européenne à la concurrence s’est opposée à la fusion. Alors là, on a vu, en France en tous cas, un déchaînement de déclarations d’hommes politiques disant que cette commissaire était incompétente, que c’était un scandale, qu’on empêchait l’Europe de se battre à armes égales contre les Chinois, qu’on allait être submergés, bien sûr. Et alors est ressorti la fameuse métaphore : « On voulait faire un Airbus du rail. » Chaque fois qu’on veut faire une entreprise européenne, c’est toujours Airbus qui est invoqué.
Bon, malheureusement tout ceci n’est pas très très crédible. Alors quand on dit qu’il faut que Alstom et Siemens fusionnent, que ce serait évidemment bien, ça n’a même pas besoin d’être justifié, il y a quand même des croyances implicites qui vont se révéler douteuses, voire fausses.
D’abord, première idée, si Alstom et Siemens fusionnent, est-ce que au niveau de taille où ils sont ça fera encore jouer les effets d’échelle ? C’est-à-dire que : est-ce que la R&D va fusionner ? Est-ce qu’ils vont faire exactement les mêmes wagons, les mêmes trains ? Est-ce que sur les sites de production il y aura plus de synergie ? Ça me semble douteux. Donc il est assez probable, et ça n’a pas été examiné en détail dans les raisonnements, que à la taille où sont Alstom et Siemens, ils sont déjà au bout de leurs effets d’échelle et qu’ils ne gagneraient rien sans doute à fusionner si ce n’est une plus grande complexité. Je rappelle que en général les fusions entre concurrents dans les métiers spécialisés sont assez destructrices de valeur parce que faire travailler des gens ensemble qui se sont toujours battus les uns contre les autres et qui sont persuadés souvent à juste titre que leur produits sont les meilleurs, ce n’est pas très simple.
Deuxième point : c’est que l’idée qu’il y a derrière bien sûr c’est d’acquérir une position très dominante en Europe, c’est-à-dire oligopolistique. Or l’expérience montre bien souvent que quand on a acquis une position oligopolistique il se passe dans les années qui suivent que, ben évidemment l’objectif de cette position ce n’est pas de baisser les prix mais de maintenir ses prix voire de les monter, qu’on ne fait pas de grands progrès en compétitivité, en productivité donc en général on a des coûts un peu trop élevés, et de toute façon les clients, eux, n’aimant pas les positions oligopolistiques souvent eux ramènent celui qui est dominant à une part de marché plus raisonnable. Si par exemple une entreprise qui a 40 % de part de marché fusionne avec une qui a trente, elle va se retrouver à soixante-dix mais il y a de fortes chances qu’au bout de quelques années les clients l’ait ramenée à 40 % parce qu’ils n’ont pas du tout envie d’être face à un acteur trop dominant. Donc dans ces cas-là, en général, on n’a pas 1 + 1 = 3 ce qui est ce qu’on veut faire avec les fameuses et improbables synergies ; on a plutôt 1 + 1 = 1.
Donc la commissaire européenne, quelles que soient ses motivations dans lesquelles je n’entre pas, je pense qu’il y a… elle a sans doute évité à Siemens et Alstom de faire une fusion qui, à échéance de cinq ou dix ans, aurait été destructrice de valeur. Voilà. Et en tous cas, ce que je remarque, c’est que elle a subi, enfin elle a reçu pas mal d’injures et s’est fait traiter évidemment d’incompétente mais que derrière il n’y avait pas d’argumentation solide. Avant de dire qu’elle a eu tort et qu’elle est incompétente, que l’on me montre qu’effectivement il y a des synergies et des effets d’échelles, qu’effectivement on pourra les mettre en œuvre et qu’effectivement les clients ne vont pas prendre ombrage d’une position oligopolistique. On est loin d’avoir répondu à ces questions, on est même loin de les avoir posées. Ce qui veut dire qu’il n’y a pas de raisonnement stratégique, c’est simplement des croyances qui interviennent.
Voilà les stratèges et les autres ce que je voulais vous dire : petit coup de gueule sur l’actualité. Car quand l’actualité et la politique se saisissent de la stratégie, en général ce n’est pas très brillant. Je rappelle que la Commission européenne en 2005 a ouvert le marché de l’électricité pour faire baisser les prix et que dans les années qui ont suivi, ils ont monté de 30 %. Donc c’est dire si les raisonnements stratégiques étaient puissants. Il me reste à vous inviter à vous abonner à cette chaîne Youtube si jamais d’aventure le cœur vous en dit. À bientôt.